De 1800 à 1900
19-10-2007

 

de 1800 a 1900Le 20 mai 1802, le premier consul de la République, Napoléon Bonaparte, rétablit partiellement l'esclavage. Les intérêts économiques avaient eu raison des idéaux révolutionnaires de liberté et de d'égalité. Les colons réunionnais qui n'avaient pas appliqué le décret de la Convention nationale furent évidemment rassurés. Au grand soulagement de tous, presque toutes les réformes de la Révolution furent également supprimées, y compris la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen adoptée en 1789 par l'Assemblée nationale: Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

 

En 1803, le général Decaen envoyé par Bonaparte débarqua sur l'île pour imposer le nouveau régime. En 1806, l'île Bourbon fut encore rebaptisée, cette fois du nom de l'empereur des Français, île Bonaparte. La colonie fut aussitôt prise en main par les administrateurs nommés par Napoléon et l'île perdit peu à peu toute son autonomie. Les dirigeants locaux furent soumis aux décisions des administrateurs de l'île de France (aujourd'hui île Maurice). En 1808, on dénombrait 65 000 esclaves à l'île Bonaparte. Mais les rivalités franco-britanniques, déjà virulentes aux Antilles, se propagèrent dans l'océan Indien : dans l'archipel des Mascareignes , l'archipel des Seychelles, l'archipel des Comores et l'île de Madagascar. La situation devint d'autant plus tragique à l'île Bonaparte (La Réunion) que les Anglais avaient organisé un blocus naval, et la disette fit des ravages.
En 1810, les Anglais envahirent l'archipel des Mascareignes après avoir occupé l'île Rodrigues l'année précédente, s'emparèrent de l'île de France (Maurice) et, le 7 juillet 1810, débarquèrent à l'île Bonaparte (La Réunion), plus précisément à Saint-Denis. Le nouveau commandant, Sir Farquhar qui, comme tous les Anglais de l'époque, détestait Napoléon, s'empressa de débaptiser l'île qui reprit son nom de Isle of Bourbon. Quant à l'île de France, elle retrouva son ancien nom : Mauritius.
L'occupation anglaise dura cinq ans à l'Isle of Bourbon et se révéla généralement négative pour les Réunionnais. D'ailleurs, durant l'occupation anglaise, les esclaves se soulevèrent et plusieurs Blancs furent tués.
Après la défaite de Waterloo, les diplomates français réussirent à faire inclure, dans les clauses du second traité de Paris du 20 novembre 1815, non seulement la rétrocession à la France des îles Saint-Pierre et Miquelon, mais aussi de l'île Bourbon. Quant à l'île de France (Maurice) et à l'île Rodrigues, elles restèrent dorénavant anglaises. En somme, l'occupation anglaise aux Mascareignes aura été à l'origine de la séparation du destin des trois îles en deux entités politiques distinctes : l'île de France (Maurice) et l'île Rodrigues devinrent anglaises, alors que l'île Bonaparte — qui avait repris le nom de Bourbon — redevint française, ce qui en fit le seul territoire sous administration française dans cette partie de l'océan Indien, car l'archipel des Seychelles était passé aux mains des Anglais. Cependant, plus près de l'Afrique, l'archipel des Comores et l'île de Madagascar restèrent sous souveraineté française.
L'abolition de la traite des esclaves fut décrétée par les États-Unis en 1807 et par la Grande-Bretagne en 1808. En France, bien que Louis XVIII eût rétabli la Constitution de 1763 ainsi que l'esclavage, il dût se résoudre à l'abolir le 8 janvier 1817. En 1818, l'île comptait 16 400 Blancs, 3496 affranchis et... 70 000 esclaves. Il n'en demeure pas moins que l'importation d'esclaves cessa pratiquement après 1817, même si la pratique de l'esclavage continuait. D'ailleurs, devant les besoins de main-d'oeuvre, les grands propriétaires de l'île commencèrent en 1828 à recruter des «engagés », c'est-à-dire des travailleurs libres recrutés en Inde, puis en Chine, pour une période déterminée et contre rémunération. Rappelons que la France contrôlait des comptoirs commerciaux indiens dans les villes de Pondichéry, Chandernagor, Yanaon, Karikal et Mahé. Ces comptoirs ont fourni quelques milliers d'engagés dans les colonies françaises de l'océan Indien : île Maurice, île Rodrigues, La Réunion, les Seychelles et les Comores. En 1848, lors de l'abolition de l'esclavage, les engagés indiens et chinois étaient déjà plus de 6500 à La Réunion.
Le contrat d'engagement prévoyait des frais pour le retour à la fin du contrat d'une durée de cinq ans. Voici ce qu'on prescrivait au sujet de la langue : Les contrats d'engagement seront reçus par M. le Consul de France et devront être rédigés en langue française et dans une langue connue par les engagés afin qu'ils puissent bien comprendre toutes les clauses. Ces travailleurs pouvaient aussi être employés «au service du gouvernement», que ce soit dans la confection des routes, la construction des ponts ou des édifices publics, les services dans les hôpitaux, arsenaux et autres établissements publics. Selon les planteurs, les Chinois étaient réputés plus robustes, plus intelligents et «bien plus civilisés» que les Indiens. Cependant, une fois familiarisés avec le français et le créole, les Chinois ont vite abandonné, eux aussi, les durs travaux manuels de la canne à sucre et ont refusé de travailler. Ils ont ainsi suivi l'exemple des Chinois de l'île Maurice : ils se sont lancés dans le commerce et certains ont ouvert de petites boutiques. À cause de tous ces problèmes, un arrêté du 2 juillet 1846 interdit l'introduction de nouveaux travailleurs chinois.
Comme les Blancs étaient fort déçus des engagés indiens et chinois, il ne restait plus qu'à faire encore appel à des travailleurs africains. Les autorités politiques abondèrent dans le sens des propriétaires blancs : les Africains étaient «les seuls» qui pouvaient s'adapter à l'activité sucrière. Les planteurs blancs demandèrent l'autorisation de pouvoir recruter de nouveaux travailleurs engagés d'origine africaine. Pour les Réunionnais, il semblait qu'aucune race «ne peut utilement remplacer la race noire» dans l'exploitation agricole. Le total des engagés, toutes races confondues, ne dépassa jamais les 6500.
Un autre problème surgit à ce moment-là: la paupérisation des Blancs. Graduellement dépossédés de leur terre et ruinés, les petits propriétaires de La Réunion commencèrent à former une nouvelle classe sociale, celle des Blancs «pauvres». Le sort de ces «petits Blancs» devint la principale préoccupation des administrateurs lors la première moitié du XIXe siècle. Devant le manque de solution, beaucoup de ces «petits Blancs» se retirèrent dans les montagnes pour vivre en toute liberté comme bon leur semblait, un peu comme les esclaves marrons.
L'abolition de l'esclavage devint définitive lorsque le sous-secrétaire d'État à la Marine chargé des colonies, Victor Schoelcher (1804-1893), d'origine alsacienne, fit adopter le décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848. En tant que membre du gouvernement (provisoire), Victor Schoelcher choisit le receveur général des Finances, Joseph-Napoléon Sarda-Garriga (1808-1877), pour occuper le poste de commissaire général de la République à l'île Bourbon. Arrivé le 13 octobre 1848 à l'île de La Réunion, Sarda-Garriga fut chargé de préparer l'abolition effective de l'esclavage. L’Assemblée coloniale lui demanda de reporter l'application du décret à la fin de la campagne sucrière. Sarda-Garriga refusa, promulgua le décret le 19 octobre, mais fixa au 20 décembre la date de l'émancipation des esclaves. Au moment de la proclamation officielle de l'esclavage, 60 318 habitants sur 108 829, soit 55 % de la population, recouvrèrent la liberté. Entre-temps, soit le 6 septembre 1848, l'île avait repris définitivement le nom de La Réunion.
Devenu célèbre dans toutes les colonies françaises, Victor Schoelcher revendiqua aussi l'application du droit commun partout et même la départementalisation pour la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane française et La Réunion, mais il échoua sur cette question ; on sait que les quatre colonies ne deviendront des départements qu'en 1946. Bien sûr, au terme de cette douloureuse période, la colonie réunionnaise s'était majoritairement peuplée d'habitants noirs et la langue maternelle de tous était devenue le créole réunionnais . Cependant, contrairement au créole martiniquais et guadeloupéen, le créole réunionnais a largement emprunté aux langues malgaches; c'est pourquoi celui-ci est sensiblement différent des créoles antillais (Guadeloupe, Martinique, Dominique) en ce qui a trait au vocabulaire de base. C'est vers les années 1840 seulement que les Noirs furent christianisés par l'Église catholique. Auparavant, les Noirs étaient certes baptisés, mais pour ensuite être laissés à eux-mêmes. Par ailleurs, beaucoup de prêtres possédaient des esclaves.
Enfin, l'année 1848 ouvrit la voie au métissage de la population. De nombreux mariages entre Blancs et esclaves (interdits avant 1848) furent légalisés entre 1850 et 1860. À partir de cette période, les mariages interraciaux se sont à ce point multipliés qu'ils sont devenus la norme. Parmi les épouses potentielles, on trouve des Malgaches et des Indiennes, mais aussi des métisses indo-portugaises venues du comptoir commercial de Goa (sous administration portugaise). Désormais, il n'y eut plus à La Réunion de cloison étanche entre Blancs, Métis et Noirs. Néanmoins, la France imposa à La Réunion comme dans toutes ses colonies le Code de l’indigénat qui correspondrait aujourd'hui à une autre forme déguisée d’esclavage des populations autochtones en les dépouillant de toute leur identité. Grâce aux pratiques discriminatoires imposées par le Code de l'indigénat (en vigueur de 1887 à 1946), les Blancs continuèrent de jouir de privilèges considérables. Par la suite, la prospérité économique demeura bien relative. Alors que les grands propriétaires blancs dominaient 120 sucreries et employaient 25 000 travailleurs, les «ouvriers de couleur» vivaient dans la misère et étaient poussés vers l'alcoolisme.
En 1870, la création du canal de Suez en Égypte eut pour effet d'écarter l'île de La Réunion (et l'île Maurice) de la route des Indes, ce qui en aggrava la situation socio-économique. Au cours de cette décennie, le gouvernement français fit appel à de nouveaux travailleurs: les Indiens musulmans. Ces derniers venaient essentiellement de Bombay et de l'État du Goujarat. Ils seront appelés Zarabes, bien qu'ils ne soient pas arabes. Les Réunionnais les ont probablement confondus avec les Arabes qui sont généralement de religion musulmane, ce qui est plus rare pour un Indien. Ensuite, La Réunion sombra lentement dans l'oubli, car, à partir de 1880, le gouvernement français porta tout son intérêt sur Madagascar.

 
< Précédent   Suivant >